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Baya Mahieddine (Fatma Haddad) : biographie de l’artiste peintre

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Orpheline puis servante, Baya a réussi à surmonter les obstacles de sa condition sociale pour devenir une pionnière de la peinture moderne algérienne. Aujourd’hui, Baya est considérée comme une icône de la peinture algérienne et son travail continue à inspirer les artistes et les amateurs d’art du monde entier.

Artiste depuis son âge

Artiste depuis son âge Fatma Haddad, qui sera connue sous le nom de Baya, nait le 12 décembre 1931 à Fort-de-l’Eau (aujourd’hui Bordj el Kiffan) aux environs d’Alger. Orpheline dès l’âge de 5 ans, elle est recueillie et élevée par sa grand-mère, qui travaille dans une ferme. Cette enfance difficile et solitaire ne l’empêche pas de développer une imagination fertile et une passion pour l’art. Déjà artiste dans l’âme, Baya dessine et réalise des modelages en terre cuite, utilisant les matériaux disponibles dans la ferme pour créer ses premières œuvres.

Ses œuvres attirent l’attention de la sœur de la propriétaire de la ferme, Marguerite Caminat, qui est également peintre. Marguerite est impressionnée par le talent de Baya et décide de l’encourager à développer ses dons artistiques. Dans un premier temps, Marguerite emploie la petite Baya, alors âgée de onze ans, comme domestique, mais elle devient progressivement sa protectrice et son mentor.

Marguerite lui fournit le matériel nécessaire pour peindre et modeler. Baya puise dans une vaste imagination pour réaliser des figures féminines, des oiseaux, des paysages, peints en couleurs vives avec des dominantes de rose, de bleu, d’orange. Son art, considéré comme appartenant au mouvement de l’art naïf, est intime et avec des lignes épurées.

Baya prend pour signature le prénom de sa mère morte, Baya, en hommage à celle qui l’a inspirée et guidée dans son parcours artistique. Elle explique dans un entretien : « J’ai commencé très jeune. A cinq ans environ, j’avais trouvé une revue pour enfant et je me suis mise à copier les dessins. Alors on m’a dit ce n’est pas bien, c’est défendu, ça ne sert à rien de copier, si tu veux peindre, peins ce qui te passe par la tête mais il ne faut jamais recopier alors on m’a enlevé le livre, on m’a donné des pinceaux, de la peinture et du papier et c’est de là que c’est parti. »  Entretien avec Baya Mahieddinne, réalisé par K. MELISMI in Art et Actualité, n °2, 1982, p.6

Cette phrase résume parfaitement l’approche artistique de Baya, qui est caractérisée par une grande liberté et une grande imagination. Elle ne se contente pas de copier les modèles existants, mais crée ses propres œuvres, inspirées par son environnement et ses émotions. Cette approche lui permet de développer un style unique et personnel, qui sera reconnu et apprécié par les critiques et les amateurs d’art.

Baya Mahieddine (1931 – 1998). La jeune artiste qui a inspiré Picasso

Exposition parisienne

Convaincue du talent de sa fille adoptive, Marguerite utilise ses relations dans le monde artistique et culturel pour diffuser les œuvres de Baya. Elle en présente ainsi à son ami le sculpteur Jean Peyrissac, qui les montre à son tour à l’artiste, mécène et galeriste Aimé Maeght. Ce dernier décide alors d’organiser une exposition des œuvres de Baya dans sa galerie parisienne, située au cœur du quartier des artistes de Montparnasse.

Le catalogue de l’exposition est préfacé par l’écrivain André Breton, qui écrit : « Je parle, non comme tant d’autres pour déplorer une fin mais pour promouvoir un début et sur ce début Baya est reine. Le début d’un âge d’émancipation et de concorde, en rupture radicale avec le précédent et dont un des principaux leviers soit pour l’homme l’imprégnation systématique, toujours plus grande, de la nature. » Cette préface souligne l’importance de l’œuvre de Baya et son potentiel pour renouveler l’art contemporain.

Âgée de seize ans, Baya se rend à Paris pour l’exposition qui connait un grand succès. Le magazine Vogue notamment consacre un article à la jeune artiste, soulignant son talent et son originalité. À Paris, Baya rencontre de nombreux artistes, dont le peintre Georges Braque, qui est impressionné par son travail. Pendant son séjour en France, elle passe également quelques temps à réaliser des modelages au sein de l’atelier Madoura, à Vallauris dans le sud de la France, où elle côtoie Picasso, qui se montre impressionné et intéressé par son art.

Baya explique dans une interview : « Des gens ont dit qu’il (Picasso) m’avait montré comment travailler. Pas du tout, nous discutions. » Cette phrase souligne l’importance de la rencontre entre Baya et Picasso, qui est plus une rencontre d’esprits que une relation de maître à élève.

Rapidement, Baya se fait un nom dans les milieux artistiques parisiens. Albert Camus écrit après avoir vu son exposition : « J’ai beaucoup admiré l’espèce de miracle dont témoigne chacune de ses œuvres. Dans ce Paris noir et apeuré, c’est une joie des yeux et du cœur. » Cette phrase souligne l’impact de l’œuvre de Baya sur le public et les critiques, qui sont impressionnés par son talent et son originalité.

Baya Mahieddine dans Vogue en février 1947. (© Edmonde Charles-Roux-Vogue)

L’exposition de Baya à Paris est un événement important dans l’histoire de l’art contemporain, car elle marque l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes qui vont renouveler l’art et la culture. Baya est l’une des premières artistes algériennes à être reconnue à l’échelle internationale, et son exposition à Paris est un moment clé dans sa carrière.

Une pause de 10 ans

En 1953, Baya épouse le musicien El Hadj Mahfoud Mahieddine, de près de 30 ans son aîné. Ce mariage marque un tournant important dans la vie de Baya, qui se retire de la vie publique et met une longue pause dans sa carrière artistique et professionnelle. Pendant les dix années qui suivent, elle se consacre à l’éducation des six enfants auxquels elle donne naissance et se retire au sein de la sphère domestique.

Cette période de retrait coïncide également avec la guerre d’Algérie, qui fait rage pendant huit ans de 1954 à 1962. En juillet 1962, l’indépendance de l’Algérie est reconnue, mettant fin à la guerre d’Algérie et ouvrant une nouvelle ère pour le pays. Baya, qui a passé dix ans à se consacrer à sa famille, est prête à reprendre sa carrière artistique et à se lancer dans de nouveaux projets. Elle va bientôt reprendre ses pinceaux et créer des œuvres qui reflètent son expérience et sa vision du monde.

Reprise de carrière

En 1963, Baya reprend ses activités artistiques et ne les quittera plus jusqu’à sa mort. Elle élargit le format de ses toiles et ajoute à ses figures féminines, fleurs et oiseaux, des objets du quotidien tels que des instruments de musique, des fruits, des meubles. Ses œuvres deviennent plus complexes et plus riches, reflétant sa maturité et son expérience.

Baya expose à nouveau, lors de l’exposition Peintres algériens en 1963 à Alger, qui est un événement important pour l’art algérien. L’année suivante, elle expose à Paris, puis régulièrement en France, notamment à Marseille, en Belgique et dans le monde arabe. Ses expositions sont toujours très bien accueillies et elle est appréciée et reconnue pour son art.

Baya présente des anciens travaux et des nouveaux, ce qui montre son évolution et sa créativité. Elle continue à explorer les thèmes qui lui sont chers, tels que la femme, la nature et la culture algérienne. Ses œuvres sont toujours caractérisées par leur beauté, leur simplicité et leur profondeur.

En 1967, Baya se joint à l’aventure du groupe Aouchem (Tatouages), fondé par Choukri Mesli et Denis Martinez, qui ambitionne de créer un lien entre l’art contemporain et les sources de l’art africain, ainsi que le répertoire formel transmis par les arts populaires du Maghreb. Ce groupe, qui réunit des artistes et des intellectuels de différentes disciplines, cherche à promouvoir une nouvelle forme d’art qui soit à la fois moderne et ancrée dans les traditions africaines.

Deux ans plus tard, en 1969, Baya est récompensée pour son travail et obtient le Grand Prix de peinture de la ville d’Alger. Cette distinction est un témoignage de la reconnaissance de son talent et de son apport à l’art algérien. Elle est également un encouragement pour Baya à continuer à explorer de nouvelles voies artistiques et à contribuer à la promotion de l’art algérien sur la scène internationale.

Baya meurt à l’âge de soixante-six ans, en novembre 1998, laissant derrière elle un héritage artistique important et une œuvre qui continue à inspirer les artistes et les amateurs d’art. Sa mort est un événement triste pour le monde de l’art, mais son œuvre continue à vivre et à être célébrée.

Sources d’inspiration de Baya

Les œuvres de Baya sont caractérisées par des motifs récurrents qui reflètent son univers artistique unique. Les filles en fleurs, les oiseaux multicolores, la confusion des robes et des plumages sont autant de thèmes qui apparaissent régulièrement dans ses peintures. La douceur des formes et leur entremêlement, l’exubérance des couleurs, les effets de répétition d’une peinture à l’autre donnent à son travail la prégnance et l’onirisme du merveilleux.

La signature de Baya est associée dans le discours orientaliste au « mystère » arabe, et en histoire de l’art aux catégories des « naïfs », au « primitivisme » et à « l’art brut ». Cependant, il est important de noter que ces catégories sont souvent utilisées pour décrire les œuvres d’artistes qui ne sont pas issus de la tradition occidentale, et qui sont souvent considérés comme « autres ».

L’artiste a évoqué certaines de ses sources d’inspiration, notamment les œuvres de M. Caminat, qui représentait des femmes, des fleurs et des oiseaux, et possédait des tableaux de Braque et de Matisse. Les couleurs utilisées par Baya rappellent également les vêtements bariolés des femmes de Kabylie, qui sont connus pour leur richesse et leur diversité.

Style de Baya

Les peintures de Baya sont caractérisées par une domination de teintes de bleu, de rose et de vert qui illustrent un monde enchanté, naïf et mystérieux. L’univers artistique particulier de Baya met en scène des paysages sous terrains ou aquatiques, une faune et une flore diversifiée présentant tantôt la beauté des oiseaux, tantôt celui de la musique ou des femmes du Magreb.

Douée d’un talent pour le dessin, elle développe dès son adolescence un style pictural immédiatement identifiable qui la suivra toute sa vie durant. Parfois qualifiée d’artiste
surréaliste, classée dans des courants tel que l’Art Brut ou naïf, elle n’a, en réalité, aucune Ecole et ne participe d’aucun groupe.

Cependant, il est important de noter que l’art de Baya est beaucoup plus complexe et nuancé que ce que les catégories de l’art naïf ou du primitivisme pourraient laisser penser. Les œuvres de Baya sont en effet caractérisées par une grande richesse et une grande diversité, qui reflètent son univers artistique unique et sa créativité.

Les œuvres de Baya sont signées uniquement avec son prénom usuel, ce qui souligne l’importance de l’individualité et de la créativité dans son art. Les peintures de Baya sont également caractérisées par une grande simplicité et une grande pureté de forme, qui sont souvent associées à l’art naïf.

BAYA Haddad Ouevres Artistique & Peintures

Des œuvres emblématiques

Les œuvres de Baya sont caractérisées par leur beauté, leur simplicité et leur profondeur. Voici quelques-unes de ses œuvres les plus emblématiques :

  1. baya_vase-aux-pampres_1967_aware_women-artists_artistes-femmes
  1. Baya, Vase aux poissons et cithare, 1966, gouache sur papier, 100 x 150 cm, © Photo : Musée du Quai Branly – Jacques-Chirac, © Othmane Mahieddine, © CNAP

Baya, sans titre, 1950, mine de plomb et gouache sur papier

Baya, La dame aux roses, 1967 – © Musée de l’IMA – Philippe Maillard, Paris.

Baya, Les oiseaux musiciens, 1976 – © Photo Alberto Ricci

Baya, Paysage aux oiseaux, 1966, gouache sur papier, 100 x 150 cm, © Photo : Musée du Quai Branly – Jacques-Chirac, © Othmane Mahieddine

Baya Mahieddine -danseuse et musicienne – 1976 – Gouache

La toile « Danseuses et musicienne » a été vendue à 30 000 euros en 2015, lors d’une vente aux enchères en France. Cette toile, qui représente des danseuses et une musicienne, est un exemple de la capacité de l’artiste à capturer la joie et la beauté de la vie quotidienne.

Gouache de Baya exposée à l’Institut du Monde Arabe en 2022 à Paris – Wikimedia Commons – CC BY-SA 4.0 – Bruno Barral

Musées où Baya avait exposé 

  • Paris, Institut du monde arabe : La Dame aux roses, 1966, gouache sur papier, 100 × 160 cm
  • Alger, Musée national des beaux-arts d’Alger : Femme au palmier
  • Lausanne, Collection de l’art brut : sans titre, entre 1947 et 1953, gouache sur papier, 65 × 50 cm.
  • Bamako, Musée national du Mali
  • Ambassade d’Algérie à Washington.

Son expo, en plus des galeries Maeght et de l’exposition organisée à l’Institut du monde arabe jusqu’au 26 mars 2023, on peut retrouver ses toiles entre autres au Musée national des Beaux-Arts d’Alger, au Musée des Arts décoratifs ou à l’Institut du monde arabe à Paris.

En 2018, la Grey Art Gallery de l’Université de New York a organisé sa première exposition nord-américaine « Baya : Women of Algiers ». 

Dans la bibliothèque du musée des Beaux Arts d’Alger- mai 2023- LB

Baya l’écrivaine

À l’âge de 16 ans, Baya a également écrit une histoire oubliée, publiée en 1947 dans le livret de sa première exposition artistique à la galerie Maeght, à Paris. Cette histoire, intitulée « Le grand zoiseau », est une œuvre courte mais magique qui fait partie des huit pages de ce livret précieux. Conçu par Maeght pour annoncer l’exposition sous le titre « Derrière le miroir », ce livret célèbre la découverte d’une vision qui allait bientôt bouleverser l’univers artistique, notamment celui de Picasso. Chaque page du livret est illustrée d’un dessin de Baya en lithographie, et c’est aux pages 4, 5 et 8 que l’on trouve l’histoire de « Le Grand Zoiseau ».

Références et liens utiles

Ces liens permettent d’accéder à des informations complémentaires sur la vie et l’œuvre de Baya, ainsi que sur les institutions et les organisations qui ont contribué à la promotion de son art.

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