cinéma et théâtre
« Devant les murs de la ville » : adaptation algérienne magistrale d’une œuvre allemande

La pièce de théâtre « Devant les murs de la ville », adaptée et traduite par Khaled Bouali à partir de l’œuvre du dramaturge allemand Tankred Dorst (La grande imprécation devant les murs de la ville), a été présentée au Théâtre régional de Skikda sous la direction de Sonia Mekkiou. Cette adaptation, qui transpose une histoire chinoise dans un contexte algérien, explore des thèmes universels tels que l’attente, l’amour, la guerre et les murs symboliques qui séparent les êtres humains.
Synopsis : Une quête désespérée d’amour et de survie
L’histoire se déroule dans la Chine impériale, où une femme part à la recherche de son mari, disparu depuis son départ à la guerre. Devant la grande muraille, elle implore l’empereur pour qu’il lui rende son époux. Cependant, un soldat parmi d’autres prétend être son mari, et il doit prouver la véracité de ses dires. Le sort de l’homme est scellé : soit il est exécuté pour mensonge, soit il est rendu à sa prétendue épouse. La femme, quant à elle, est prête à accepter n’importe quel homme comme mari, tandis que le soldat voit en cette situation une opportunité de quitter le front. Cette quête désespérée, teintée de machiavélisme et de situations absurdes, met en lumière les heurts et malheurs de personnages luttant pour leurs idéaux.

Une adaptation algérienne réussie
Dans cette version algérienne, Khaled Bouali a opéré une extrapolation des lieux et des faits pour adapter l’histoire au contexte local. La femme, nommée Houria El-Ouezna, et l’homme, Hocine Ellim, évoluent dans un décor typiquement algérien, avec des éléments tels que l’oued, le gourbi et la cruche. Les comportements des personnages ont également été adaptés, reflétant certaines spécificités culturelles, comme la violence domestique, que Bouali décrit comme une « spécificité propre à beaucoup de Méditerranéens ».
Malgré ces adaptations, l’universalisme de l’œuvre originale est préservé. Le mur, symbole central de la pièce, ne représente pas seulement la Grande Muraille de Chine ou le mur de Berlin, mais tous les murs que l’humanité a érigés pour résoudre ses conflits. Comme le souligne Sonia Mekkiou, la metteuse en scène, « dès qu’on trouve des difficultés à résoudre les problèmes ou les conflits, on construit un mur ». Cette réflexion résonne particulièrement dans un monde où les murs physiques et symboliques continuent de séparer les peuples.

Des performances remarquables
Le personnage de la femme, interprété par Nadia Larini du Théâtre régional de Batna, est au cœur de la pièce. Larini incarne avec brio une femme déterminée, usant de sa féminité, de sa ruse et de sa patience pour surmonter les obstacles visibles et invisibles. Sa présence scénique écrasante domine la pièce, laissant peu de place aux autres acteurs, qui semblent parfois se perdre dans le décor.
Bouha Seif Eddine, connu pour ses rôles loufoques dans des one-man-shows, joue ici un rôle plus sérieux, bien qu’il semble parfois en difficulté face à un texte bien ficelé, loin de l’improvisation qui a fait sa renommée. Riad Boufenaz, quant à lui, campe avec autorité le rôle de l’empereur, tandis que Sabri Amiour renoue avec la magie des planches après 20 ans d’absence, incarnant un juge ironique chargé de détecter les mensonges des deux protagonistes.
Ali Namous : une présence qui marque les esprits
Dans la pièce « Devant les murs de la ville », Ali Namous incarne un rôle subtil mais essentiel, celui d’un soldat. Bien que son personnage ne soit pas au premier plan, Ali Namous apporte une présence scénique remarquable, renforçant la dynamique collective des soldats qui escaladent le mur et interagissent avec les protagonistes principaux.

Ali Namous, connu pour sa polyvalence et sa capacité à s’adapter à des rôles variés, joue ici un soldat qui, comme les autres, tente de survivre dans un contexte de guerre tout en participant à la farce tragique qui entoure la quête de Houria El-Ouezna.
Namous excelle dans les scènes chorégraphiées où les soldats, en groupe, doivent réagir aux événements avec synchronisation et précision. Son jeu corporel, marqué par une gestuelle expressive et une présence physique imposante, renforce l’idée que chaque soldat, bien que anonyme, est un individu à part entière, avec ses propres peurs et aspirations. Cette performance collective, à laquelle Namous participe activement, illustre la condition des hommes pris dans l’engrenage de la guerre, où l’individualité est souvent sacrifiée au profit de la masse.
Une scénographie impressionnante
La scénographie, signée Abderrahmane Zaâboubi, joue un rôle clé dans la réussite de cette pièce. Le décor, bien que simple, est efficace et reflète à la fois le contexte algérien et l’universalité du message. Les acteurs, formés aux rudiments de l’expression corporelle, évoluent avec une chorégraphie soignée, ajoutant une dimension visuelle forte à la pièce.

Un message universel
« Devant les murs de la ville » est bien plus qu’une simple adaptation théâtrale. C’est une réflexion profonde sur les murs que nous érigeons, physiques ou symboliques, pour résoudre nos conflits. La pièce aborde également des thèmes comme la condition féminine, l’attente et la quête de sens dans un monde marqué par la guerre et la violence. Comme le souligne Khaled Bouali, « cette pièce fera un tabac incessamment », et il est difficile de ne pas partager cet optimisme face à la richesse et à la profondeur de cette œuvre.
Reconnaissance nationale : Prix de la meilleure mise en scène au Festival National de Théâtre Professionnel de 2010
La pièce « Devant les murs de la ville » a non seulement captivé les spectateurs par sa profondeur et son universalité, mais elle a également été saluée par la critique et les professionnels du théâtre. En 2010, la mise en scène de Sonia Mekkiou a été récompensée par le Prix de la meilleure mise en scène lors du Festival National de Théâtre Professionnel. Ce prix prestigieux souligne l’excellence de la direction artistique de Mekkiou, qui a su transformer une œuvre allemande en une pièce profondément ancrée dans le contexte algérien tout en préservant son message universel.
La reconnaissance de ce prix témoigne de la qualité du travail de l’équipe artistique, de la scénographie innovante et aux performances puissantes des acteurs. Ce succès national confirme que « Devant les murs de la ville » est bien plus qu’une simple pièce de théâtre : c’est une œuvre qui transcende les frontières culturelles et temporelles, tout en restant profondément humaine et actuelle.
Sources
- Théâtre régional de Skikda – Informations sur la production et les représentations de la pièce.
https://theatreregional-skikda.dz - Entretien avec Khaled Bouali – Discussions sur l’adaptation et la traduction de l’œuvre de Tankred Dorst.
https://www.alaraby.co.uk - Revue de théâtre algérien – Analyses critiques de la pièce et de ses thèmes.
https://www.theatrealgerien.dz - Dossier de presse – Documents fournis par Khider Abdelawahab, chargé de la communication du Théâtre régional de Skikda.
https://www.skikda-presse.dz
Ces sources offrent un aperçu complet de la production de « Devant les murs de la ville », depuis son adaptation jusqu’à sa réception critique, en passant par les performances des acteurs et les choix artistiques de l’équipe de production.